Accord de la roue

Ce titre peut sembler paradoxal... On pourrait légitimement croire que l'instrument que l'on vient d'acheter neuf chez le luthier, ou celui que l'on vient de faire réviser, sont parfaitement réglés au niveau de la roue.
Pourtant ce n'est pas toujours le cas. Cette page apportera quelques éléments de compréhension.
Certains professeurs de vielle, certains musiciens curieux du fonctionnement technique de l'instrument pourront apporter aussi des réponses.
Voici quelques exemples, plus ou moins évidents et choquants de ce qui ne va pas avec certaines vielles.

La roue a été polie à contre fil


surface de la roueLes roues actuelles sont souvent construites en deux zones concentriques. Une zone interne (contreplaqué bien rigide) est entourée d'un bandage de bois plus lisse afin d'améliorer le contact roue-cordes.
La flèche représente se sens de rotation normal de la roue.

Il arrive que le luthier distrait ne tienne pas compte du sens de rotation de la roue quand il polit la surface du bandage.
fil sur roueLe bois est composé de fibres.
En surface d'une zone polie, l'extrémité de ces fibres se manifeste par ce que l'on appelle les "fils du bois" qui, bien qu'étant très courts, ont une action abrasive sur les cotons.
Sur l'illustration ci-contre, le polissage de la surface de la roue à l'aide d'un fer de rabot a été faite en tenant compte du bon sens de rotation de la roue : les fils (exagérément agrandis) ont été inclinés dans le sens de moindre abrasion.
Si, pendant le rectifiage de la roue, celle-ci était tournée dans le mauvais sens, les fils du bois seraient inclinés en sens inverse.

Remarques complémentaires :

- Les luthistes modernes utilisent -parfois- un mouvement alternant rapidement les sens de rotation de la roue. Ceci a pour effet d'user prématurément cotons et cordes. Le dessin ci-dessus devrait aider à comprendre pourquoi.
- J'ai vu récemment une roue dont le bandage semblait être fait avec une tranche découpée dans un tuyau de PVC. La vielle ayant été réalisée pour un musicien qui utilise systématiquement les oscillations de roue, on peut penser que le luthier, bien inspiré, a voulu limiter l'usure prématurée des cotons et des cordes. Afin d'améliorer le frottement, le luthiste étalait de la colophane liquide assez fréquemment.

Contact roue-chanterelles

L'importance de ce point a été écrit par Valentin Clastrier dans son livre consacré à la vielle. Il m'a aussi été rappelé verbalement par Marc Antony. Essayons déjà de comprendre, sur un dessin, ce qui est en cause :

accord roue chanterelles
Le dessin représente certains éléments de la vielle à roue, vus en coupe longitudinale. Les points importants sont marqué par deux cercles marqué 1 et 2. Ils correspondent aux zones de contact de la roue avec les chanterelles, mais aussi aux contacts des chanterelles avec les sillets.

trois types de contactLe chevalet et le cordier ne sont pas représentés (ils sont à gauche du dessin).
Par contre la roue (tronquée vers le bas de l'image) est représentée trois fois.
Il est important de se souvenir qu'il n'y a qu'une seule roue, et que le dessin expose les principes.
La coupe de roue marquée A montre que le contact se fait majoritairement avec la chanterelle du côté du chevalet (à gauche du dessin).
La coupe de roue marquée B montre que le contact se fait partout, sur toute la largeur de la roue.
La coupe de roue marquée C montre que le contact se fait majoritairement avec la chanterelle du côté des touches (à droite).

Commentaires très importants d'après ce dessin.

Remarque : les angles aigus marqués pour les dessins A et C sont exagérés de façon à rendre le dessin plus compréhensible. Il faut comprendre qu'il s'agit ici de différences faibles entre l'angle à droite et à gauche (pour les roues marquées A ou C).
Forme de roue de type A :  Le contact se faisant trop près du chevalet, les harmoniques sont renforcés au détriment de la fondamentale. Pour certaines vitesses de rotation (en particulier avec coups de poignet), la corde va octavier et on entendra des sons suraigus désagréables.
Forme de roue de type B :  En fait le "contact parfait" n'existe pas et l'on risque de s'illusionner sur ce que l'on obtient vraiment.
Forme de roue de type C : Le meilleur réglage possible. Le contact s'éloignant du chevalet, l'énergie mécanique est mieux transmise à la corde qui risque moins d'octavier.

Le cas particulier d'une roue dont la tranche est arrondie

contact roue arrondieAfin de "mettre tout le monde d'accord", on peut être tenté de donner à la tranche de la roue une forme très légèrement arrondie.
Ayant expérimenté une telle roue, je ne suis pas sûr que ce choix soit toujours judicieux.
En effet, la zone de contact entre la roue et la corde risque d'être assez étroite, surtout si l'on n'est pas très adroit pour mettre le coton : celui-ci tendra à constituer un bourrelet sur la zone de contact, qui deviendra encore plus étroite.
Un autre effet de bord, assez étrange, se manifeste : la corde étant déformée par sa propre vibration entrera en contact alternativement en différents points de la roue (sur un intervalle ici symbolisé par la double flèche pointillée). La hauteur du son varie très légèrement pendant la rotation, se charge différemment d'harmoniques. C'est plus expressif que le son donné par la roue C. La frustration vient quand la corde octavie et qu'on ne sait pas comment l'empêcher.
Certainement très intéressant, mais réglage très délicat.

Comment obtenir le réglage C ?

Un cas favorable : la roue correspond à la coupe B.

Un cas défavorable : la roue correspond à la coupe A.

Regarder attentivement pour voir s'il est possible en encochant le sillet d'abaisser suffisamment la corde du "bon côté".
Avant de massacrer son sillet, détendre la corde, enlever le sillet  et mettre à sa place des substituts taillés dans du bois tendre de façon à tester la validité de la solution. Si elle n'est pas valable, il faudra modifier la forme de la roue par rabotage "in situ" (voir plus loin).

Un cas défavorable : la roue a la forme C mais l'angle est trop aigu.

Il faut alors observer très attentivement et envisager les solutions en privilégiant les moins destructrices.
Commencer par mettre une cale sous le sillet pour réausser la corde. Si cela ne suffit pas ET que l'appui est un peu faible on pourra approfondir légèrement l'entaille du chevalet. Ceci étant, il ne faut pas bousiller son chevalet AVANT de réfléchir.
Autre solution, peut être plus douce : atténuer l'angle trop aigu avec du papier abrasif (du 600 par exemple) maintenu sur une calle plane (voir plus loin).

Remise en forme de la roue "in situ"

Avant d'envisager ce qui suit, il me paraît important de vous mettre en garde.
D'abord, et c'est une évidence, ne rien entreprendre sur une vielle louée ou empruntée, mais seulement sur un instrument dont vous êtes le propriétaire.
Ensuite : avez-vous compris ce qui se passe avec votre roue et vos cordes ? Si la réponse n'est pas franchement oui, alors relisez tout et observez très attentivement votre vielle. Faites des essais avec la colophane. Essayez d'améliorer vos cotons. Une intervention sur la roue ne doit être envisagée que quand on s'est rendu compte qu'on ne peut s'en passer.
Ensuite s'interroger sur ses relations avec son (ou ses) luthiers. Avez-vous confiance (ou non) en tel ou tel ? Demander autour de soi, écouter d'autres viellistes.
Si vous n'en connaissez pas, ou si vous n'avez pas confiance dans ceux que vous connaissez, essayer de contacter Monsieur Clément, luthier de vielle sur Paris. Parlez avec lui et expliquez ce que vous voulez exactement. Les quelques personnes que je connais qui lui ont confié un instrument ont été plutôt élogieuses.

Les outils minimalistes.


cutter et feutrepoignée cutterLe tranchant est une lame de "cutter" rigide, telles que vendue pour les gros cutters). Attention : ne pas prendre les lames minces segmentées qui sont à casser après usure, elles feraient des stries et sont trop souples.
Pour protéger la table d'harmonie découper du feutre épais (ou du bois mince, ou un morceau de linoleum... selon ce que l'on a). Prévoir une encoche pour laisser le passage de la roue.

Il est très important d'avoir une bonne prise sur la lame et cela n'est pas facile : elle est assez petite et anguleuse, potentiellement source de coupures.
Il faudra fabriquer une poignée englobante, en bois ou tout autre matériau, et qui permettra de changer la lame quand le tranchant est affaibli ou qu'elle a perdu de sa régularité.
Le dessin ci-contre n'est qu'une image de principe. Il faudra l'adapter à ce qu'on est capable de faire.

Il est possible d'utiliser aussi un fer de rabot, sous réserve d'être capable de maintenir son tranchant rectiligne et de savoir l'affuter.
(dans ce cas, on pourra lire l'article suivant : http://www.tomybedard.com/a.html )
L'avantage de la lame de cutter est qu'elle est bon marché, droite et tranchante quand on la sort de son emballage.

Il faudra aussi se procurer du papier abrasif très fin (du genre de celui utilisé pour polir les carrosseries marqué 240, 400 ou 600).

Voir

En plus de penser juste, de maîtriser ses gestes, il faut être capable de voir ce que l'on fait.
Il faudra travailler avec une lumière suffisante et prévoir des loupes de vue assez puissantes, si l'on n'a pas une vue très perçante.

Utiliser le tranchant avec précaution.


tranchant de roueSur le dessin ci-contre, la roue est tournée dans le sens des aiguilles d'une montre.
Le feutre est posé du côté des bourdons (et pas de la trompette).
Le tranchant est moins efficace (et moins dangereux pour la roue) quand la poignée est en position 1. Il devient plus efficace (et plus destructeur) quand il est en position 2.
Privilégier la sécurité. Souffler sur la poussière de bois de façon à voir ce que l'on fait. Ne pas changer la position du cutter trop souvent : on risque d'arrondir la tranche de la roue (forme D), ce qu'il faut éviter.

Toujours finir par un "coup de papier abrasif".

Fixer le papier abrasif sur un support plan et rigide
Ne pas agiter celui-ci sur la roue : le positionner bien à plat sur la tranche de la roue et tourner celle-ci dans le "bon sens" en faisant attention aux points de contact avec la roue.
Eliminer la poussière.
Remettre de la colophane et écouter le résultat.